La rigueur, moi ça me gâche le plaisir de la lecture, je préfère me laisser porter de page en page et de livre en livre. Holden, mon frère-Fanny Chiarello
31 Août 2013
Est-ce qu'il la voyait comme une blanche ? Est-ce que -pire- il était là parce qu'elle était blanche ? Elle avait déjà été aimée pour ses fesses, pour son talent, pour sa notoriété, jamais pour sa couleur. Ou bien tous les hommes, tous les Blancs qui l'avaient désirée jusque là ne l'avaient fait qu'à cette condition qu'elle était blanche. En Occident, il est noir et elle est blanche; en Afrique il est un homme et elle est une femme. Malgré leurs tentatives de rébellion, partout on tente de leur imposer une manière d'être et de penser.
J'ai débuté la rentrée littéraire, par ce roman de Marie Darrieusecq, conseillé par ma libraire. Sceptique j'étais, je craignais à un plaidoyer littéraire sur le racisme. Ce roman m'a étonné par sa forme.
Solange, actrice française fait carrière aux States, lorsque le lecteur fait connaissance, elle tourne avec Matt Damon. C'est la sucess story à LA, elle enchaîne les tournages, pas de grands rôles encore, cependant son agent la presse d'accepter un rôle dans la série Urgences. Elle vit à Bel Air, résidence avec piscine et ses voisins sont Steven, le réalisateur, Georges (et oui l'unique), Favour et Fred.
Lors d'une réunion" soirée cocktail entre collègues acteurs, Solange va rencontrer le superbe Kouhouesso, acteur canadien d'origine camerounaise, personnage mystérieux, qui restera insaisissable durant tout le roman.
Pour Solange, les carottes sont cuites, elles tombe sous le charme irrésistible de ce mâle, une force attractive et quasi animale. Elle débute une relation, quasi unilatérale, Kouhouesso faisant irruption dans sa vie, quand cela lui chante, ou à travers des SMS au contenu bien évasif, que Solange interprète comme des marques d'affection. Aussi s'interroge-t-elle souvent sur cette relation et comme une évidence, la couleur de peau va entrer au cœur de ses interrogations???
Kouhouesso est plus captivé par son projet cinématographique : adapter le roman de Conrad Cœur des ténèbres, qui avant inspiré à Francis Ford Coppola le film Apocalypse Now. Le film sera. financé par Oprah et George, qui sera à l'affiche du film avec Vincent Cassel. Kouhouessso constitue son équipe et part tourner aux sources, en Afrique, au Congo. Solange, à qui il a donné le rôle de "La promise", se joint à l'équipe et ira jusqu'au bout pour l'amour de son bel et ténébreux amant.
Ce roman m'a beaucoup étonné par sa fantaisie : l'intrigue débute à Hollywood, et plonge le lecteur dans l'univers cinématographique. L'ambiance reste superficielle, cependant le ton n'est jamais cynique : belles villas avec piscine, luxe, grands couturiers sans déballage excessif (ambiance rappelant celle des deux derniers films de Sofia Coppola The Bling Ring et Somewhere), Solange n'est pas toujours très à l'aise dans cet univers.
Beaucoup de références cinématographiques, qui m'ont parlé en tant que cinéphile (Steven Sodebergh et Terrence Malick). Certains acteurs sont nommés, d'autres non mais il est aisé de deviner, qui ils sont.
L'intrigue se veut dans un premier temps amoureuse, puis elle bascule face aux interrogations de Solange, et à ce grand projet de tourner en Afrique et d'embarquer tout cette équipe d'acteurs là bas.
Marie Darrieusecq, lie très bien les deux thèmes le monde des apparences et le racisme grâce à cette réflexion sur l'altérité et la relation à l'autre, que voit-on au delà du physique?
Elle insiste plus sur les comportements, les petites réactions anodines au quotidien, le personnage de Solange, lui même semble éblouie par la plastique de Kouhouesso, avant tout. Marie Darrieusecq ne dénonce rien, elle se contente de décrire, et strates après strates, elle déploie l'éventail avec limpidité. Bien sur, c'est le point de vue de Solange, qui reste le plus détaillé.
De fil en aiguille, elle tisse l'histoire, les premières passages ou elle décrit l'attente de Solange sont agréables, le côté fleur bleu Solange ...Puis, elle conduit ce couple improbable, de LA, à Paris, puis à Clèves, le lieu refuge de Solange et jusqu'en Afrique, dans un scénario catastrophe, souvent annoncé.
A chaque étape, des contraintes, les proches qui découvrent Kouhouesso et l'immersion en Afrique pour Solange est fatal, elle découvre un continent, un mode de vie, les fameux sachets whisky, des croyances, des coutumes, et souvent des hommes incapables de confronter leurs différences culturelles, lorsque l'équipe de tournage doit travailler avec les gens du crû.
De lui, de cet homme qu'elle aimait, de lui dont elle apprenait les goûts, l'histoire, le plaisir, la force , le talent et le manque d'humour, de lui dont elle commençait à redouter les humeurs, de lui elle ne savait rien. ...
Ce phénomène non magique la faisait attendre un homme dont ses ancêtres à elle avaient asservi et massacré les ancêtres. L'exploitation et le massacre se poursuivaient, apparemment, se poursuivaient, oui, avec l'assentiment de certains des siens, mais sans jamais que les siens ne lâchent leur position de dominant.
Si le roman démarre dans la fantaisie, il ne reste pas toujours sur le même registre, quelques approches politiques, sur le discours de Dakar, un avis partagé.
Et, l'intrigue bascule, un dénouement un peu sévère pour Solange, heureusement le chapitre bonus m'a rassuré sur la suite de sa carrière. Le personnage de Kouhouesso reste pour moi une métaphore de l'Afrique, beaucoup de charme, et tout aussi insaisissable.
J'ai apprécié ce roman, à la touche féminine, aux idées engagées et je me suis laissée guidé dans ce voyage proposé par l'auteure. Une auteure, qui semble intervenir en voix off, indispensable pour gommer la candeur de Solange.
Challenge 1% Rentrée Littéraire chez Hérisson- 1/6